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Le lynx : un prédateur qui devient notre proie



Qui ne connaît pas ce grand félin, célèbre grand carnivore des forêts ? Son pelage tacheté ainsi que ses oreilles pointues au bout desquelles pointent une touffe noire le rendent facilement reconnaissable ! La situation de cette espèce en France, et tout particulièrement dans notre région, est actuellement critique. Nous nous sommes efforcés de collecter les données récentes concernant le suivi des populations de lynx sur le massif vosgien afin de démêler le vrai du faux pour avoir une idée plus précise de la menace pesant sur la présence de l'animal.




Histoire et caractéristiques :


Le lynx présent dans nos forêts est appelé « lynx boréal » ou « lynx d’Eurasie ». Ce mammifère est également surnommé « loup-cervier » du fait de son assimilation avec le loup pendant plusieurs années et de sa consommation de cervidés.


Bien que considéré comme un grand prédateur, le lynx ne pèse pas plus de 30 kg (généralement autour de 20kg) pour une taille variant de 50 à 75 cm (les mâles sont plus grands que les femelles). La durée de vie de l’animal est de 15 ans et sa maturité sexuelle est à l’âge de 2 ans. A partir de là, la femelle peut mettre au monde une portée par an (70 jours de gestation environ) comportant 1 à 4 petits.


Autrefois très présent en Europe, le lynx a complètement disparu de l’Europe occidentale au du XIXème siècle. Lui qui était répandu dans nos forêts s’était éteint suite au braconnage répété pour sa fourrure et son image d’espèce « nuisible ». Sa présence dans le massif vosgien à l’heure actuelle a été rendu possible par les programmes de réintroduction (voir ci-dessous). Mais les populations restent très fragiles et son retour n’est pas toujours bien vu. De plus, les raisons de sa disparition continuent d’impacter les populations de lynx. Le point ci-dessous.


Un territoire qui ne lui offre plus assez de possibilités :


Le lynx est un animal discret et solitaire qui se tient à l’écart de l’homme. Or, l’espèce humaine continue de s’étendre : l’émergence de routes goudronnées, d’habitations et la chasse contribue à impacter et transformer les habitats naturels. Elle entraîne une fragmentation du territoire du prédateur qui a du mal à retrouver ses congénères lors de la saison des amours. L’anthropisation cause beaucoup de torts au lynx qui va voir son terrain de chasse amputé et va être victime de collision avec des véhicules.


Un statut de grand prédateur qui lui fait du tort !



« L'univers ne connaît pas d'autre loi, il nous propose deux places, prédateur ou proie, deux positions aussi instables qu'interchangeables, malheureusement. » Cette citation que nous devons à Eric-Emmanuel Schmitt résume assez bien la situation actuelle : le lynx est aujourd’hui aussi bien notre proie que le prédateur des forêts.

Pourquoi l’image de prédateur nous fait-elle aussi peur ? Pour toutes les espèces ayant ce statut, les mœurs nous dictent de nous effrayer pour trois raisons principales :


1. La prédation sur le bétail :


Les attaques de bétail par le lynx sont répertoriées en France depuis son retour en 1984. En 2012, le nombre total d'attaques sur le bétail dont la responsabilité incombe au lynx en France est de 89 (principalement des ovins même si l’on retrouve quelques caprins parmi les victimes).

Dans les Vosges, on ne compte que quelques attaques par an. Mais cela suffit à entrainer l’hostilité des chasseurs et de certains agriculteurs qui voient d’un mauvais œil sa réintroduction.


Pourtant, une étude menée en Suisse en 2008 par Christine Breitenmoser a démontré que la part de bétail dans les proies du lynx est d'environ 7%. Le lynx se nourrit donc à 93% de proies sauvages, qui sont principalement le chevreuil et le chamois.


2. La crainte d’une attaque sur l’homme :


Il faut savoir que ce mammifère ne s’attaque pas l’homme, en effet aucun cas d'agression spontanée n'a jamais été relevé (Hofrichter & Berger 2004). C’est un animal très discret qui aime observer sans devenir agressif.

Pour la petite info, à l’échelle mondiale, l’animal le plus meurtrier pour l’Homme est … l’Homme ! Eh oui, en 2009 une étude fait la corrélation entre au nombre d’homicides par an à travers le monde : 200 000 cas et le nombre d’attaques de crocodiles (l’un des animal les plus craints par l’homme) qui est de 2 000… Ceci n’est qu’un exemple pour prouver que les mœurs et les idées reçues contre le monde animal ne sont dues qu’au reflet de notre ignorance.


3. La concurrence avec l’homme pour le gibier :


Pour avoir une idée : le territoire d'un lynx peut s’étaler jusqu’à 400km². Dans cette zone, le nombre de chevreuils prélevés par le félin sera d'environ 50 chevreuils/an/100km². Au sein du Parc Naturel Régional des Vosges du Nord, la densité de chevreuils était évaluée à 680 individus pour 100km² en 1987 (Poncet, 1989). Le lynx serait responsable du prélèvement de 7% d’entre eux (soit 50 chevreuils) contre plus de 40% pour la chasse. Cette activité ne semble donc pas impactée par la présence du lynx.


Un rôle de régulateur :



Eh oui ! Comme tous les prédateurs, on oublie souvent que le lynx à une place déterminante dans notre écosystème.

Etre au sommet de la chaîne alimentaire, cela induit d’avoir un cycle biologique plus lent. Autrement dit : les prédateurs se reproduisent moins vite, ce qui compense le fait que personne (hormis nous) ne les chasse. A l’inverse, plus une espèce est vulnérable plus elle se reproduira vite ce qui compense amplement la prédation. Le lapin est une proie de choix mais copule à une vitesse effarante, les ongulés ont « besoin » d’être régulés sans quoi ils prolifèrent rapidement et causent des dommages importants à la flore. Ceux-ci sont donc limités par la prédation, et les prédateurs, par leur vitesse de reproduction ainsi que par la disponibilité en nourriture. De cette manière, il y’aura toujours plus de proie que de prédateur. La nature est bien faite !


Et pourtant avec la disparition du loup et du lynx dans notre massif, les sangliers et les cervidés voient leur nombre croître de manière incontrôlée. . Nous déséquilibrons donc totalement nos écosystèmes et contrairement à ce que nous pouvons penser : nous ne pouvons pas remédier entièrement à ces disharmonies que nous causons ! Nous ne pouvons donc pas remplacer les prédateurs au sein de notre écosystème, nous paierons tôt ou tard leur absence. Le retour des grands prédateurs sur le territoire français n’est pas un mal si l’on s’y prépare ! Il favorise le retour vers un équilibre écologique, notamment nos massifs forestiers, en limitant les populations d'herbivores et de petits carnivores.



Qu’en est-il des programmes de réintroduction ?


Passé le XIXème siècle, les dernières populations de lynx en Europe se trouvaient en Europe du Nord et de l’Est. Il était alors impossible pour l’animal de rallier l’Europe de l’Ouest. Son retour n’aurait pas eu lieu sans les projets de réintroduction qui se sont avérés essentiels pour recréer un noyau de population en Europe occidentale.


Suite aux réintroductions réussies en Allemagne, en juin 1977, le Groupe Lynx Alsace dépose la première demande officielle de réintroduction du lynx dans les Vosges. Les premiers lâchers de lynx dans les Vosges ont lieu en 1983 dans le Haut-Rhin. Ceux-ci donnent lieu à un échec cuisant, les protagonistes ayant relâché l‘animal avant d’avoir eu la confirmation de l’autorisation par le préfet. Grâce à l’aval du ministère de l'environnement, les lâchers perdurent jusqu'en 1993. Avec 21 individus, 12 mâles et 9 femelles, ayant été réintroduits dans notre massif. Ces lynx sont pourvus d’un collier émetteur afin de suivre leur colonisation et leur situation géographique. Ce procédé révèlera que plusieurs individus sont morts peu de temps après leur lâcher suite à des maladies ou à l’abattage illégal (Herrenschmidt 1990). Cependant, les colliers émetteurs ayant une durée de vie limitée, le suivi des derniers individus s’arrête en 1994. Il faut dès lors suivre les rares indices de présence que l’animal laisse derrière lui.


Données récentes :


La population de lynx dans le Massif des Vosges s'est maintenue durant les 20 premières années ayant suivi son installation. Toutefois, son aire de répartition stagne en 1996 et 2007 (2000km²) et diminue entre les périodes 2005-2007 et 2008-2010 (Laurent et al. 2012). On estime la population de lynx vosgiens entre 20 et 30 individus en 2008-2010 : autant dire que la population n'a pas vraiment grandi en 20 ans. En 2012 et 2013, les signes de présence du lynx se raréfient : la population est en phase de régression. Disparu ou toujours présent ? En 2016 le doute est permis et les associations tel que FERUS communiquent la présence d’un seul lynx sur tout le massif. Sans réintroductions, il semble que l’espèce soit de nouveaux amenée à disparaître.


Un peu d’espoir ?


La Fondation Nature et Environnement de Rhénanie Palatinat a obtenu des fonds pour mener à bien un projet, qui prévoit la réintroduction de lynx en Alsace. Un total de 20 lâchers de lynx est prévu d’ici à 2020. Trois jeunes femelles et deux jeunes mâles du Jura Suisse ont notamment été équipés de GPS dans le but d’être capturés plus tard pour être relâchés en Allemagne.


En conclusion :


Le lynx devra affronter de nombreux obstacles pour s’implanter à nouveau dans le massif vosgien. Sa discrétion rend son suivi difficile alors qu’il faudrait justement pouvoir surveiller au mieux le développement de l’espèce pour prévenir des risques. La chasse au lynx est interdite, le braconnage ne relève pas d’un besoin (on ne mange pas de lynx…) ni de légitime défense mais d’actes gratuits et délibérés. Nous devons faire connaître les programmes de réintroduction au plus grand nombre pour favoriser leur émergence. Le lynx à sa place dans notre massif et sa disparition, au-delà du déséquilibre écologique qu’elle occasionne, rends compte de la difficulté que l’homme a à cohabiter avec son écosystème.

N’hésitez pas à réagir et à poser des questions dans les commentaires !

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